» Pas komunizmit

Recension i librit Socialism Vanquished, Socialism Challenged. Eastern Europe and China, 1989-2009 

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    » Solidarité ou assurance ?

    par Jean-Fabien Spitz , le 4 avril 2014

    Conçue à l’origine comme un instrument politique destiné à lutter contre les inégalités, la Sécurité sociale est devenue au fil des années un mécanisme d’assurance mutuelle contre les risques de notre société de marché. Notre démocratie y a sans doute beaucoup perdu.

    Tous les acteurs politiques affichent aujourd’hui leur volonté de préserver ce qu’il est convenu d’appeler le modèle social français et, au premier chef, la sécurité sociale qui en est un élément majeur avec ses quatre branches : maladie, accidents du travail, vieillesse et famille. Mais tous ajoutent dans le même souffle que si l’on veut sauver le système, il faut le « réformer ». En clair, cela signifie que l’équilibre entre les contributions patronales et salariales d’un côté et les prestations distribuées de l’autre n’est plus assuré et que le système court à la faillite. Mais puisque toute augmentation des cotisations signifie une hausse du coût du travail – déjà trop élevé en France et à ce titre préjudiciable à la compétitivité des entreprises – la seule solution est de réduire les prestations, par exemple en accroissant la part des dépenses de santé supportées par les mutuelles.

    Trois propositions

    Le livre de Colette Bec – sobrement intitulé La Sécurité sociale. Une institution de la démocratie – devrait nous aider à mieux comprendre des enjeux qui sont ici trop dissimulés. Donnons d’abord en quelques mots le nerf de son argumentation, qui tient en trois propositions.

    La première affirme que le projet initial qui a présidé à la naissance de la Sécurité sociale au lendemain de la seconde guerre mondiale est aujourd’hui perdu de vue. Contrairement à ce que l’on croit trop volontiers, le projet porté par Pierre Laroque en 1946 ne consistait pas à promouvoir un mécanisme d’assurance mutuelle des acteurs du monde salarial — ou de la « société civile » — contre des risques que comporte nécessairement une société de marché évoluant au rythme des cycles économiques et des révolutions technologiques. Il s’agissait au contraire d’un projet politique de modelage de la société par la production de libertés équivalentes pour tous les citoyens.

    La seconde suggère que, dès l’origine, ce projet de solidarité nationale a été miné de l’intérieur par des intérêts particuliers et des corporatismes, en sorte que sa naissance effective a été le fruit d’un compromis ou de concessions aux nombreux groupes sociaux qui entendaient plus se protéger eux mêmes par l’assurance mutuelle de leurs propres membres que prendre part à un projet politique de redistribution des revenus et de garantie universelle des conditions matérielles d’accès à la citoyenneté active, tant politique qu’économique. Le mode de financement assis sur les salaires plutôt que sur l’impôt est une composante de ce compromis — Colette Bec parle de Concordat — et il illustrait dès le départ le fait qu’il devrait nécessairement, tôt ou tard, y avoir un lien entre la qualité de contributeur et celle de bénéficiaire.

    La troisième proposition enfin est que, au fil des réformes qui se sont succédé depuis les années 50 et surtout depuis la seconde moitié des années 60, ce compromis a rendu possible une profonde dénaturation du projet initial. Aujourd’hui, la sécurité sociale n’est plus un système de solidarité nationale destiné à garantir la liberté pour l’ensemble des citoyens, mais un système dualiste fondé d’une part sur l’assurance pour ceux qui ont accès au salariat classique et d’autre part sur l’assistance pour tous les autres.

    La manière dont Colette Bec développe et assemble ces trois propositions nous donne une vision extrêmement pertinente de l’état social et politique de la France d’aujourd’hui. Son livre nous enseigne en particulier que le vocabulaire couramment employé lorsqu’il est question des activités de l’État social et des dépenses publiques qu’elles entraînent – risque, employabilité, responsabilité, dignité, pauvreté, droits de l’homme — véhicule une conception de la société démocratique qu’il serait souhaitable de formuler explicitement et de soumettre à un examen critique au lieu de l’adopter de manière aveugle. Si nous faisons cet effort de formulation, nous comprendrons que la crise à laquelle la démocratie est aujourd’hui confrontée est issue de la scission entre sa composante politique et sa composante sociale. Il est en effet impossible de conserver une démocratie politique et civile, avec des libertés consistantes et actives, si, comme on veut le faire aujourd’hui, on déconstruit la dimension sociale qui se préoccupe de produire un tissu continu de libertés équivalentes et qui se soucie, par une politique délibérée, de protéger les individus contre les formes d’assujettissement, de précarité, de dépendance et d’irresponsabilité auxquelles les expose inévitablement le libre jeu de la société civile et du marché. Lorsque l’État social n’est plus qu’un mécanisme destiné à assister et à panser les plaies des inévitables perdants de cette concurrence déloyale, il a cessé d’être l’institution indispensable qui permet à l’ensemble des membres d’une société d’individus de former une « démocratie », c’est à dire une société où chacun a l’assurance de ne pas être un simple moyen de la prospérité des autres.

    Il convient donc d’expliciter chacune des trois composantes du raisonnement de Colette Bec pour comprendre comme elles convergent vers cette conclusion.

    La synthèse libérale démocrate

    Le projet de fondation de la sécurité sociale au lendemain de la guerre est issu, selon Colette Bec, de la philosophie politique solidariste, dont les premiers développements remontent à la fin du XIXe siècle. Cette conception met l’accent sur l’existence d’une solidarité objective entre les membres des collectivités politiques modernes, en sorte que chacun est le collaborateur de tous et que personne ne peut se prétendre solitairement l’auteur, le responsable, et par conséquent le propriétaire exclusif des biens et des richesses que génère son activité dans ce contexte d’interdépendance généralisée. Cette solidarité objective induit l’idée que la société repose sur un quasi contrat par lequel chacun s’engage à mettre les ressources qu’il engendre au service de la communauté autant que cela est requis pour procurer à chacun les moyens indispensables à une individualité libre (éducation, logement, transports, soins, retraite) et à une citoyenneté réelle. La solidarité instituée – l’usage des ressources sociales pour la constitution des libertés communes – doit donc répondre à la solidarité objective.

    Une telle approche de la réalité sociale fait apparaître plusieurs points saillants qui, aujourd’hui peuvent paraître paradoxaux.

    Tout d’abord l’idée que l’individualité n’est pas une donnée de la nature, et que la capacité à être un individu, à agir de manière autonome, est au contraire la conséquence d’institutions collectives qui en construisent politiquement les moyens et l’effectivité. L’une des composantes de l’individualité est bien entendu la responsabilité, en sorte que cette dernière ne peut être tenue pour une donnée de l’action humaine, mais qu’elle doit être, là encore, l’objet d’une construction politique. La conséquence est que seuls peuvent être tenus pour responsables de leurs actes et de la situation dans laquelle ils se trouvent des individus qui ont accès à des moyens d’exercer cette responsabilité.

    En second lieu, l’idée que la liberté effective des individus est elle aussi le produit d’une politique active et non d’un miracle de la nature. Elle suppose des médiations institutionnelles et des décisions politiques qui arbitrent entre le droit que les acteurs ont d’être laissés libres de toute interférence et le droit de la collectivité de limiter leurs actions pour conférer à tous une même capacité réelle d’agir de manière autonome. En dehors de cette médiation politique, la société des individus se contenterait de consacrer la domination des forts sur les faibles, de ceux qui ont la chance d’être nés là où il faut sur ceux qui n’ont pas eu cette chance.

    En troisième lieu, l’idée que la démocratie, c’est-à-dire une société d’individus qui aspire à la légitimité, ne peut pas se contenter de l’égalité des droits sous une loi impersonnelle mais qu’elle doit procéder à cette construction politique des libertés de tous sous peine de s’exposer à un grave déficit non seulement de légitimité mais aussi de cohésion sociale.

    Enfin l’idée que la liberté ne se conquiert pas contre l’État mais par lui, par une puissance publique qui en instaure les conditions et veille à leur respect. De ce point de vue, la thèse selon laquelle l’État serait l’ennemi de l’indépendance et qu’il étouffe une « société civile » qui n’aspirerait qu’à vivre de ses propres lois et selon ses propres modalités est une fiction dangereuse. Comme l’expliquait déjà Charles Dupont White au milieu du XIXe siècle, là où l’État se retire ce n’est pas la liberté qui apparaît, mais la domination des puissances privées ou des castes (Dupont-White, 1857).

    Cette philosophie est au principe du projet de Pierre Laroque. La sécurité sociale, pour lui, n’était pas une assurance mutuelle que les salariés souscriraient pour se prémunir contre des risques, mais la manifestation d’une solidarité nationale dans laquelle chacun doit à tous les autres la couverture de ses besoins essentiels ainsi qu’une possibilité égale d’agir comme un citoyen indépendant et autonome. L’obligation – il ne s’agissait pas d’une assurance volontaire – et le fait que les prestations ne devraient pas être réservées aux seuls cotisants étaient les conséquences de ces principes. Comme dans le cas de l’obligation scolaire, l’intervention de la puissance publique dépossède en quelque sorte l’individu du pouvoir de juger de ce qui est bon pour lui, de la question de savoir s’il veut ou non s’assurer. Mais, comme l’écrit Colette Bec, « la force collective résultant de l’ensemble des adhésions individuelles produit en retour une protection que l’individu seul ne peut assumer » (p. 60-61). Autrement dit, c’est grâce à cette solidarité impulsée par la politique que l’indépendance formelle de l’individu, souvent synonyme d’impuissance, peut se transformer en véritable liberté. Mais cette transformation, à son tour, exige que l’on abandonne l’idée d’auto-régulation sociale et la thèse selon laquelle les individus ont d’abord à se protéger eux mêmes, par leurs propres initiatives ou par leurs associations volontaires, et que l’on envisage au contraire la politique comme le seul cadre dans lequel peut s’élaborer une maîtrise efficace de l’insécurité sociale. Elle exige donc que l’on comprenne à quel point l’accès à la liberté commune « par le seul arrachement aux hiérarchies et aux contraintes » imposées par la société d’ordres – donc par la seule égalité des droits — « ne peut pas s’effectuer également pour tous car elle est déterminée par les inégalités de position sur lesquelles l’abstraction du droit n’a aucune prise ».

    Le « moment » de 1946 est donc bien celui d’une organisation réfléchie de la société, du constat que l’ordre spontané et autorégulé des libertés est une illusion, que la démocratie exige la construction d’un cadre collectif qui rend l’émancipation individuelle possible, et que la liberté n’a de chances de devenir une réalité que par un ensemble de médiations publiques qui doit couvrir l’ensemble des secteurs de la société – y compris l’économie, la propriété et le contrat de travail – où le libre jeu des facteurs tend au contraire à créer et à entretenir des relations d’assujettissement qui sont aussi des facteurs d’irresponsabilité, de blocage et d’immobilisme des individus. « Dans cette nouvelle architecture, écrivait déjà Colette Bec en 2007, l’élément essentiel à souligner est le fait que le droit social ne part pas du principe de l’égalité, mais bien au contraire du constat des inégalités de fait vis-à-vis desquelles il va construire des dispositifs différenciés de compensation et de protection en vue d’une plus grande égalité » (Bec, 2007, p. 190). Nous sommes là, ajoute-t-elle, « au cœur de la tension démocratique essentielle qui vise à articuler l’indispensable principe d’universalité dont l’État est le garant et la non moins indispensable prise en compte des différences, des particularités, des inégalités ». Cependant, la puissance publique ne prend pas en compte ces différences et ces inégalités pour les conserver dans leur particularité, mais bien pour les insérer dans une appartenance commune en surmontant ce qui, en elles, fait obstacle à cette commune appartenance (Bec, 2007, ibid.).

    « Le ver était dans le fruit »

    Dès l’origine, le patronat a renâclé à entrer dans une logique de solidarité nationale et souhaité s’en tenir à l’idée que la sécurité sociale est une protection que le travailleur se procure dans la société civile grâce à son appartenance à un groupe professionnel. Il souhaitait donc une distinction tranchée entre l’assurance (chaque groupe professionnel s’assure par un mécanisme relevant de la société civile et de l’association, non de l’État et de la solidarité nationale) et l’assistance (l’État alloue un minimum à ceux qui ne sont pas capables de s’assurer eux mêmes). Cette aspiration patronale rejoignait aussi des corporatismes syndicaux exprimant le refus de certains groupes professionnels organisés et prospères de faire société avec les pauvres, de construire avec eux des mécanismes de solidarité nationale. Depuis le début, écrit C. Bec, « l’organisation de la sécurité sociale est traversée par cette mise en cause du projet initial par des logiques ‘corporatistes‘ » (Bec, 2014, p.190) et la prolifération des « régimes spéciaux » en est la marque.

    À cet égard, l’idée que le financement doit reposer sur les seules cotisations salariales et patronales était grosse de dangers parce qu’elle engendrait inévitablement de considérables problèmes en période de chômage. C’était aussi un système qui permettait d’épargner entièrement les revenus du capital car, d’une manière ou d’une autre, les cotisations patronales sont des prélèvements sur le salaire. Ce sont donc les salariés qui financent l’ensemble de l’édifice, au moyen de cotisations qui non seulement ne sont pas progressives mais qui, initialement, étaient plafonnées. Contrairement à ce qui se passe dans les autres pays de l’OCDE, où la part des cotisations sociales prélevées sur les salaires représente 9,9% du PIB, cette part monte à 19,5% en France ; inversement, l’impôt sur le revenu – le seul prélèvement progressif – ne représente que 6% du PIB en France contre 11,5% en moyenne dans les pays de l’OCDE (Bec, 2014, p. 199). Il y a donc une contradiction entre le projet de solidarité et les modalités de son financement.

    La dérive du système

    Cette contradiction, rançon du corporatisme et de la frilosité devant l’idée de solidarité nationale, est à l’origine des difficultés actuelles. Elle a aussi correspondu à un dévoiement initial qui a substitué l’idée d’assurance à celle de redistribution, et l’idée de garantie contre des risques propres aux salariés au projet politique consistant à assurer à tous un accès aux conditions d’une liberté réelle et d’une citoyenneté active. Ce dévoiement était d’autant plus dommageable que, dans le projet initial, les prestations n’étaient pas liées à la qualité de cotisant, et que le budget de l’État était mis à contribution pour financer le système, alors que, dans les faits, le mode de financement retenu conduisait les contributeurs à considérer comme des charges indues tout ce qui ne relevait pas de l’assurance mutuelle des salariés. Le repli de la sécurité sociale sur une mutuelle salariale était en germe dans les origines, bien que l’objet du social ne soit pas, dans son principe, d’assurer les salariés contre les risques lorsque ceux-ci se matérialisent, mais de garantir à la population dans son ensemble un accès à des conditions de vie et d’emploi (par la formation en particulier) capables de faire en sorte que les risques ne se matérialisent pas.

    La notion de risque, indissociable de celle d’assurance, n’était donc pas primordiale dans la démarche initiale : il ne s’agissait pas d’appeler les individus à assumer seuls leur autonomie en ajoutant que l’État les aidera s’ils se trouvent dans des situations dans lesquelles les risques se sont matérialisés. Il s’agissait au contraire de créer une société dans laquelle les citoyens sont protégés au maximum contre le fait que le risque se matérialise, c’est-à-dire de construire une forme d’autonomie que les individus ne peuvent pas se procurer par eux mêmes dans la fameuse « société civile », mais qui ne peut exister que par l’intégration dans une société donnant à chacun les moyens de se former, de se loger, de se mouvoir d’un lieu à un autre et d’un emploi à un autre.

    En vérité, dit Colette Bec, on a insidieusement substitué une notion de risque à une autre. Fonder la sécurité sociale, c’était dire que le risque est structurel, qu’il est inhérent à une société de libre concurrence, qu’il est inévitable que des inégalités considérables apparaissent, et que les individus qui en sont victimes seront incapables, parce qu’elles sont cumulatives et reproduites, d’en combattre les effets par leurs propres moyens. Dans une optique de ce genre, le risque est propre à la forme de société, et il n’est pas imputable à une faute des individus, à une négligence, à un manque de responsabilité. C’est précisément cette vision du risque inhérent à une société de concurrence qui fonde la régulation politique pour le prévenir : si les situations dégradées sont prévisibles, si l’on peut anticiper quelles sont les personnes qui seront touchées, si la précarité des uns, sur le marché, est l’effet de l’action des autres, il est légitime que la collectivité intervienne pour renforcer la main de ceux qui sont inévitablement affectés par le mode de régulation qu’elle a choisi et dont nous devons assumer collectivement les conséquences. Mais dès l’origine, cette notion de « risque social » ou structurel est recouverte par l’idée toute différente selon laquelle les individus, dans une société de concurrence, courent des risques individuels auxquels tous sont peu ou prou exposés de manière « égale ». La bonne manière de réagir contre ces risques serait alors de faire appel à une assurance volontaire qui a un prix pour chacun et qui encourage les individus à faire preuve de prudence. Cette seconde vision du risque rejette toute idée de solidarité sociale a priori parce que, à ses yeux, elle encourage les comportements irresponsables tout en sapant les institutions de la société civile (la famille, le mutuellisme) qui sont à la fois naturellement bien placées pour gérer les risques et indispensables à une bonne cohésion sociale.

    La dualisation : assurance et assistance

    L’ambiguïté initiale ne sera jamais levée et elle va même s’accentuer au fil des années. Protection mutuelle contre les risques ou solidarité nationale ? Protection des travailleurs ou droits du citoyen en tant que citoyen aux conditions matérielles d’une action et d’une existence indépendante ? Chaque fois que le déficit va apparaître, c’est-à-dire quasiment en permanence puisque le mode de financement est d’emblée inadapté, le système aura tendance à se rétracter vers la première réponse et à refuser les charges indues en prônant la séparation nette entre une protection assurancielle pour les titulaires de statut professionnel, et la compassion assistancielle pour les autres. Les syndicats et le patronat se rejoignent sur cette position, soutenant les uns et les autres que les salaires n’ont pas à assumer la solidarité nationale et qu’il s’agit de charges pesant de manière indue sur les salaires.

    On passe alors d’une conception de la protection sociale à une autre. Alors que le projet initial consistait à faire que les individus aient accès, par l’action de la collectivité, aux moyens de se protéger et, ainsi, de ne pas avoir à recourir à une aide quelconque, la protection sociale fonctionne désormais de plus en plus comme un mécanisme qui se déclenche lorsque le risque se matérialise, comme s’il n’avait pas été possible de l’anticiper et de le prévenir. Alors que, dans le projet initial, il était clair que le soin de se procurer les conditions d’une action indépendante ne pouvait incomber aux individus seuls et que cela relevait de la solidarité nationale, c’est désormais à eux que cette « tâche » est dévolue, tandis que la « protection sociale » n’est plus censée venir à leur secours que lorsqu’ils sont « frappés », « victimes des accidents de la vie », comme si ces derniers étaient imprévisibles, comme si chacun pouvait avoir la même responsabilité de les éviter, comme si la possibilité de s’en prémunir ne dépendait pas avant tout de facteurs structurels, et comme s’il n’appartenait pas à la collectivité de tenter de les juguler.

    Sous l’impact de ces nouvelles représentations, le système se fragmente ou se dualise. D’un côté ceux qui ont un emploi et qui, exposés à des risques limités, peuvent les gérer sur le mode de l’assurance mutuelle. De l’autre, ceux qui sont à la fois exposés aux risques majeurs et qui sont incapables d’assumer seuls les frais de l’assurance ; pour ces derniers, l’État intervient sous la forme de l’assistance. Dans ce système dualiste, la notion selon laquelle les besoins essentiels au fonctionnement civique sont couverts pour tous a laissé la place à l’idée que la protection est garantie par des mécanismes qui, dans les deux cas, la rendent conditionnelle. Dans le premier cas, elle est subordonnée à l’intégration dans un emploi salarié ; dans le second, elle est tributaire de la bonne volonté de l’État et surtout de la situation comptable. Or cette dernière subit la pression constante des exigences de la compétitivité (et de la limitation des dépenses publiques), alors même que l’assistance est une simple gestion des effets et que, à ce titre, elle est à la fois couteuse et inefficace du point de vue de l’accès à l’indépendance. Au contraire, elle stigmatise et enferme les soi disant bénéficiaires dans une spirale de la dépendance et de l’exclusion. Pourtant, dans le même temps, la société civile ainsi autonomisée et le marché qui la régulent produisent de plus en plus d’exclus, créant ainsi un appel sans cesse plus important à l’assistance.

    La sécurité sociale a donc cessé d’être un instrument solidaire d’intégration des libertés pour se muer en adjuvant, en roue de secours d’une économie efficace. Elle a pour double objet de prendre en charge les effets négatifs et perpétuellement reproduits d’une société de marché, qui jette dans la mêlée des individus cumulant des handicaps structurels que l’on n’a pas cru devoir empêcher a priori de produire leurs effets, et de remodeler dans le même temps le droit du travail de manière à faciliter leur employabilité. On abandonne progressivement l’idée d’une lutte contre les inégalités (qui paraît à la fois vaine et contre productive) au profit d’une « lutte contre la pauvreté », contre l’exclusion, au nom d’une justice sociale dont les principes semblent désormais répondre à la logique de l’aide aux « personnes en difficulté » et non à celle de la construction d’une société permettant la coopération entre personnes libres et égales.

    Si la solidarité initiale (celle de 1945) entendait, par une politique visant à donner une réalité effective aux droits sociaux, assurer l’intégration de chacun dans la collectivité en le produisant comme un individu libre, la pseudo-solidarité telle qu’on la conçoit désormais, dit Colette Bec, « est une solidarité d’accrochage conditionnelle et révocable, qu’incarnent des interventions de compensation et de responsabilisation liées à des droits individuels ; elle vise à sauvegarder une cohésion sociale minimale par une relation assistancielle qui se défend de l’être » ( p. 224). Les aides distribuées n’ont pas pour objet de rétablir une articulation entre les individus et la collectivité, mais d’empêcher les atteintes à la dignité des personnes, tout en soulignant que les individus concernés sont isolés de la totalité sociale qui, quoi qu’il en soit, n’a aucune responsabilité dans ce qui leur arrive, car il s’agit seulement des « scories » ou des accidents de la fameuse société civile autorégulée.

    Mais si l’intervention publique change de sens, son emprise ne diminue pas. Elle peut même s’accroître, car la mise en en œuvre du programme d’autonomisation de la société civile et de « responsabilisation » des individus provoque des inégalités et des exclusions qui impliquent l’intervention de l’État pour modérer les tensions sociales qui en résultent. En termes d’efficacité, ce système boursouflé qui guérit ou tente de guérir les accidents de parcours soi disant individuels est sans doute bien moins satisfaisant qu’un système qui interviendrait en amont pour intégrer les individus à un tissu social continu et les soutiendrait activement dans l’exercice de leur liberté. Il coûte aussi cher, sinon plus, mais les arguments comptables peuvent jouer à son encontre comme ils ne le pouvaient pas contre la solidarité initiale : le coût du travail est trop élevé, les dépenses d’assistance sont improductives, elles sont destinées à des individus qui n’ont pas été assez prudents ni responsables, elles entretiennent l’inactivité, leur niveau doit être fixé en fonction de ce que la stabilité sociale (et les contraintes financières) peut tolérer mais pas en fonction de considération de liberté ou de justice.

    La puissance publique est alors prise en tenaille entre ces considérations « comptables » et la nécessité de continuer à répondre à une demande sociale qui, loin de faiblir, « trouve dans l’insécurité due à l’ouverture et à l’interdépendance des économies de nouvelles raisons de s’exprimer » (p. 48). Car si l’État se désinvestit de la production de la liberté, il se réinvestit massivement dans la gestion de l’exclusion au nom des droits de l’homme, avec une inefficacité programmée qui le décrédibilise un peu plus tous les jours, qui contribue à une dépolitisation déjà fortement engagée, et qui accrédite l’idée que la démocratie est incapable de protéger les citoyens. L’État national abandonne son rôle de créateur de la société des individus libres ; il devient un facteur de soutien à une économie en expansion et il y gagne des attributs de puissance. Mais il perd dans le même temps la maîtrise de cette logique économique « dont l’emballement est socialement dévastateur ». Il en devient l’esclave, l’appendice, condamné à colmater les brèches que ce système ne cesse d’ouvrir dans la cohésion sociale : il n’a plus aucune maîtrise du processus, il doit se contenter de subir les effets d’un marché auto-régulé. La démocratie comme maîtrise de la société par elle-même est bien loin.

    Le droit contre la politique

    Dans un ouvrage précédent Colette Bec avait souligné à quel point cette dépolitisation de la société provoquait en retour un accès du droit à une fonction dont il était auparavant dépourvu. L’action politique délibérée en vue d’instaurer des libertés égales disparaît au profit de l’idée que les individus ont par nature des droits que la politique doit respecter (bien que n’étant évidemment plus chargée de leur donner une effectivité) ; le droit cesse ainsi d’être un instrument de la politique pour en devenir le substitut impuissant. On voit en effet poindre l’idée que les sociétés ne seraient rien d’autre que des juxtapositions d’individus porteurs de droits que l’État serait chargé de faire respecter mais entre lesquels il n’y a ni conflits insurmontables, ni arbitrages politiques à rendre, ni choix collectifs à effectuer. Le droit de propriété et de contrat, par exemple, est censé ne pas entrer en conflit avec le droit d’accès de tous aux moyens matériels de la liberté, et l’uniformité du discours des droits a pour effet (et pour fonction) de faire disparaître ces tensions et la nécessité des choix politiques. Dans ces conditions, les droits sociaux sont en réalité subordonnés aux droits inhérents à la société de marché et de concurrence (propriété et contrat), ils n’apparaissent jamais que comme des dérogations à ces droits premiers et comme devant par conséquent être interprétés a minima, satisfaits « si c’est possible » dans la situation et avec les contraintes existantes. L’idée sous-jacente est évidemment que la protection des conditions matérielles de la liberté n’est pas une composante autonome des sociétés modernes, que le progrès social est une conséquence mécanique du progrès économique, qu’il n’existe pas de valeur distincte dans l’idée de sécurité, que celle ci est dépourvue d’énergie productive, qu’elle en est au contraire l’ennemie, et qu’il sera toujours faux que des individus mieux défendus, mieux armés, mieux protégés formeront un système productif plus efficace que celui qui sépare des actifs de plus en plus sommés de se protéger eux mêmes et des précaires de plus en plus assistés de manière improductive. Dans cette nouvelle approche, tout surcroît de protection, conduit nécessairement à moins de richesse, comme si la solidarité avait nécessairement pour effet d’étouffer la dynamique de l’économie et de tuer les énergies, comme s’il était évidemment vrai que la protection des travailleurs et l’efficacité économique étaient en contradiction l’une avec l’autre (p. 260), alors même que toutes les études prouvent au contraire qu’une société égalitaire manifeste une santé et un dynamisme supérieurs à ceux des sociétés fracturées (Wilkinson et Picket, 2013).

    Cette mutation du sens de la protection sociale est le produit d’une évolution intellectuelle capitale qui a fait de la sphère publique l’ennemie de la liberté et non plus son alliée, qui a exalté le pouvoir d’une société civile capable de s’auto-organiser et de rejeter l’État dans le rôle d’un simple arbitre et d’un simple instrument de gestion. Par une sorte de retour aux conceptions du XIXe siècle, la liberté tend de nouveau à être pensée comme l’attribut d’un sujet qui se représente la solidarité non pas comme un atout mais comme une charge, et l’action de l’État non pas comme un outil indispensable d’émancipation et d’individualisation, mais comme un ennemi de sa propre autonomie (2014, p. 303). On voit alors disparaître, écrivait déjà Colette Bec en 2007, « cette intime corrélation, cette imbrication entre la production de la souveraineté individuelle et le pouvoir social, entre un processus de libéralisation et un processus d’étatisation » qui est selon elle « le paradoxe constitutif de nos sociétés que l’idéologie libérale nie ou rejette, lui opposant l’auto constitution de la société civile » (2007, p. 40).

      » Ben Blushi: Shqipëria në 100 vjet, pabarazi dhe parti fetare

      Prezantimi i librit të ri të Ben Blushit, titulluar “Hëna e Shqipërisë”, ishte organizuar krejt ndryshe kësaj radhe. “Një rikthim në origjinë” e quajti botuesi i UET-Press, Henri Çili, takimin e djeshëm në librarinë “Albania” mes gazetarësh të ftuar nga Shqipëria dhe Kosova, duke iu referuar profesionit të dikurshëm të Ben Blushit dhe atij vetë, gazetarisë. E kur e di se ndodhesh mes gazetarësh, biseda merr formën e pyetje-përgjigjeve.  

      Libri juaj “Hëna e Shqipërisë” sapo ka dalë në libraritë e kryeqytetit. Çfarë është ky libër për ata që ende s’e kanë lexuar?

      Shkurt do të them se çfarë nuk është ky libër. Nuk është një libër artistik, nuk është profeci dhe besoj të mos jem gabim. Jam i sigurt se këto tri cilësi i ka në mungesë.

      Ky tekst, i cili me shkak është realisht i shkurtër, besoj se mund të ishte një tekst më i gjatë, se Shqipëria e meriton të ketë një tekst shumë të gjatë për këto tema sigurisht, por se besoj një tekst më elegant, më i lehtë është më i asimilueshëm për një masë më të madhe njerëzish. Besoj se ky tekst është i thjeshtë për t’u lexuar dhe për t’u shijuar ndoshta. Në përgjithësi ky libër përpiqet të bëjë një parashikim, duke marrë parasysh Shqipërinë sot dhe Shqipërinë në të shkuarën. Diku e them se ka vetëm një mundësi për të bërë një parashikim të vogël për atë që në pret, ka vetëm një mundësi të lexosh të shkuarën dhe të tashmen. Duke lexuar të shkuarën e Shqipërisë në 100 vjetët e fundit, duke lexuar të tashmen, ndoshta është pak më e lehtë të lexojmë të ardhmen, sigurisht duke parë kontekstin politik ku jetojmë, Europën, rajonin, botën në përgjithësi. Për fat të mirë sot nuk jemi të izoluar, ato që ndodhin edhe larg në Krime, apo në Lindjen e largët apo në Amerikën Latine, sëmundjet, epidemitë, fenomenet shoqërore, kulturore, teknologjike etj., janë gjëra që na prekin. Jetojmë ndoshta në rajonin më interesant të botës, i cili për vite e vite sidomos këto të fundit ka prodhuar aq shumë fe, kulturë, politikë, akoma konfliktet më të mëdha të botës janë në Mesdhe ku jemi dhe ne, kam parasysh Sirinë apo Izraelin, Palestinën, kam parasysh Evropën në përgjithësi. Pra gjithë këto fenomene në të ardhmen e afërt apo të mesme padyshim që do na prekin. Unë jam përpjekur që të bëj një udhëtim në të ardhmen duke u përpjekur ta ndaj me të tjerët dhe kjo ishte kënaqësi personale.

      Ju flisni për një Shqipëri, ku në të ardhmen mendoni se do të thellohet pabarazia sociale. Ju militoni në grupin politik, i cili ka fituar zgjedhjet me premtime ndaj të varfërve, ndaj shtresës së 1 milionë të papunëve. Shikoni një kontrast me këtë?

      Unë kur shkruaj nuk harroj se jam socialist, pavarësisht ngasjes për ta lidhur shkrimtarin me politikanin. Si politikan kam pikëpamje që nuk lidhen me artin e të shkruarit.

      Mendoj se tri janë qëllimet që Shqipëria ka përpara në 20 apo 30 vitet e ardhshme; Bashkimi me Europën,  Bashkimi me Kosovën dhe zbutja e pabarazisë.

      Bashkimi me Europën jam e bindur që do të ndodhë, çështja është me çfarë kostosh do të ndodhë për ne. Pyetja tjetër, pse u vonua kaq shumë? Kush janë këto procese të brendshme që vetëm na shtyjnë, ndërkohë po paguajmë një kosto më të lartë se gjithë vendet e tjera? Në anën tjetër, unë them se procesi i Bashkimit me Europën nuk është një proces i lehtë. Ne nuk jemi aq afër sa ç’duhej të ishim, natyrisht jemi më afër se kurrë në histori.

      Së dyti, Bashkimi me Kosovën. Për mua është një qëllim i madh. Nesër do ishte mirë të ishim bashkë me Kosovën si shtet më i madh, shumë më i organizuar, treg më i madh, me një kulturë kombëtare të konsoliduar etj. Natyrisht ky është një proces. Në libër them sesi do avancojë Shqipëria me Kosovën në të ardhmen. Janë dy modele që shkojnë krah për krah, po zhvillohen njësoj politikisht, ekonomikisht, pavarësisht se përbëhen nga i njëjti popull, flasin të njëjtën gjuhë. Nëse këto dy shtete nuk ecin paralelisht në aspektin e zhvillimit, demokracisë, kulturës etj, bashkimi i të dyjave do jetë një proces jo i lehtë për të ardhmen, duke marrë parasysh dhe konjukturat ndërkombëtare, çka nuk besoj se do jetë gjithmonë e favorshme.

      Ndërsa pabarazia, për mua po kthehet në një problem kombëtar. Pabarazia mes njerëzve, mes shtresave, mes gjeneratave dhe mes territorit. Por pabarazia mes njerëzve është edhe më e theksuar.

      Ju thoni në librin tuaj: Fetë janë një trashëgimi kulturore më shumë se një trashëgimi materiale. Ato janë histori, janë gjeografi, por nuk janë ekonomi dhe aq më pak, mënyrë jetese. Mendoj se ka shumë besimtarë të cilët mendojnë të kundërtën se feja në gjenezën e vet është mënyrë të jetuari…

      Është e vërtetë. Pikërisht këtë them dhe unë, që kështu është menduar për 2000 vjet, por s’duhet të jetë më kështu. Unë flas për defetarizim. Sot ka shumë nuanca të forta dhe theks fetar, siç po e shohim në Turqi që nuk është shumë larg nesh, siç po e shohim në Shqipëri ditët e fundit. Ka në shoqëri një tendencë për një fetarizim të theksuar. Unë them që duhet të shkojmë përpara duke e relativizuar, duke qenë më pak peng të feve.

      Po si?

      Nuk besoj se ka formulë. Bota ka vuajtur nga fetë, siç ka patur dhe shumë të mira prej saj, sepse feja ka zbutur njeriun në përgjithësi, ka forcuar institucionin e familjes, ka ndarë të mirën nga e keqja, i ka dhënë njeriut shpresë kur s’ka pasur. Nuk jemi në atë fazë të zhvillimit njerëzor. Unë nuk them se fetë janë të padobishme, por them që nuk mund të jenë busull për të orientuar jetën e shumicës së botës. Dhe në qoftë se kjo ndodh, pre janë shoqëritë më të varfra, varfëria na çon në këtë drejtim, besoj.

      Unë nuk kam një recetë, por nëse europianizimi i Shqipërisë nuk vonohet, kjo do na japë mundësi të jetojmë në një shoqëri mbi baza  të tjera ku fetë kanë rolin e vet, por nuk janë udhëheqëse. Raporti i shtetit me fenë është i qartë, i përcaktuar. Por jo në të gjitha rastet është i qartë dhe këtu tek ne. Kam frikë apo dyshoj se në të ardhmen tendenca për të marrë vendime me nuanca të tjera, qoftë edhe politike, do jetë më e fortë. Se ne habitemi, por Turqia është realitet. Sado e pasur e me progres ekonomik, ka ardhur në pushtet një parti me theks të fortë fetar, e cila sot është ndoshta partia më pak demokratike në këtë zonë të botës ku jetojmë.

      Në këtë kontekst, rrezikojmë që partitë fetare të kthehen në faktor politik?

      Unë them se po. Do të ketë mundësi, në kushtet tona, që në të ardhmen në vendin tonë të ketë parti me baze fetare. Unë kam shfrytëzuar në libër një parashikim që ka bërë OKB-ja për popullsinë e botës në 100 vitet që vijnë, ku thuhet se e gjithë Evropa do tkurret në përgjithësi, pra europianët do shtohen më pak. Jo se nuk jetojnë mirë. Një europian jeton më mirë se një kinez, një gjerman jeton më mirë se një indian, në të gjitha kuptimet e fjalës ekonomike, kulturore, sociale. Tendenca është që këta popuj do shtohen dhe ne që jetojmë në këtë pjesë të botës do pakësohemi dhe pyetja është: Pse? Në qoftë se e gjithë Evropa do pakësohet, ne nuk mund të bëjmë përjashtim, se nëse bëjmë, nuk jemi një vend europian, e në fakt jemi. N.q.s OKB pretendon dhe kam arsye të besoj, se sot ne jemi 2.8 milionë banorë dhe pas 100 vjetësh do jemi 1.8, ka arsye për secilin prej jush të pyesë: Pse? Janë shkak vetëm lindjet apo dhe që emigracioni do vazhdojë. Pastaj kemi arsye të pyesim veten: Ky vend është i jetueshëm për 10 vjetët e ardhshëm? A do kenë arsye fëmijët tanë të jetojnë më këtu, nëse do jetë kjo frymë konflikti, në qoftë se do ketë parti me karakter fetar, në qoftë se vendi do të fetarizohet, në qoftë se varfërohet…Pra, çfarë do jemi ne pas 20-30 vitet e ardhshme? Këto janë pyetje me të cilat unë jetoj vazhdimisht. Jam përpjekur t’u jap një përgjigje dhe të gjitha rrugët më çojnë në atë që thashë; në 20 apo 30 vjet në Shqipëri do ketë një sens të fortë pesimizmi, fatkeqësisht.

      Për bashkimin e Shqipërisë me Kosovën, ju renditët një sërë faktorësh nëse ndodh apo jo. Referuar ngjarjeve në Krime, do të thosha që, a mos është siguria ajo që mund të përshpejtojë bashkimin mes dy vendeve? Sepse dy rrugë janë për sigurinë në Kosovë; bashkimi me vendin amë, ose anëtarësimi i saj në NATO?

      Ke të drejtë, por unë nuk mendoj se e ardhmja e Kosovës rrezikohet si para 10 vjetësh nga serbët ose nga  konjukturat ndërkombëtare që atëherë nuk ishin të favorshme. Shqiptarët janë popull që kanë marrë koncesionet më të mëdha në këtë shekull, sipas meje. Pavarësinë e Kosovës dhe anëtarësimin në NATO.  Ndoshta koncesionet më të mëdha që ndërkombëtarët i kanë bërë një vendi që nga Lufta e Dytë Botërore. Nuk mendoj se në të ardhmen, kufizimi i Serbisë apo një konjukturë më e pafavorshme në Ballkan apo në Evropë, raportet me Rusinë që do vazhdojnë të jenë jo gjithmonë miqësore, mund ta rrezikojnë të ardhmen e Kosovës. Kosova nuk e rrezikon të ardhmen si një shtet i pavarur. Në qoftë se bashkimi i Shqipërisë me Kosovën që një ditë, në kushte të tjera, mund të ndodhë, shtyhet apo vonohet, kjo do të ndodhë për shkak të shqiptarëve të Kosovës dhe Shqipërisë. Është paragjykimi që ka bota në përgjithësi dhe ka arsye të ketë për pamjaftueshmërinë tonë për të gjeneruar dhe për të mbajtur shtete në këmbë që na ka dhënë deficite historike. Edhe sot prapë jemi vendi që ngremë shumë pikëpyetje për aftësinë tonë shtetformuese. Sigurisht që suazat ndërkombëtare; anëtarësimi në NATO na jep një siguri më të madhe. Sigurisht që Shqipëria do ketë më shumë arsye në të ardhmen për të kërkuar bashkimin me Kosovën, sesa vetë Kosova e cila mund të jetë pak më reflektive apo më pasive në këtë drejtim. Shqipëria do të jetë më aktive. Partitë politike do të fillojnë të bëjnë garë, siç ka ndodhur dhe në zgjedhjet e kaluara, kush është më nacionalist, kush e bashkon më shpejt Shqipërinë me Kosovën, sepse terreni politik i Shqipërisë në të cilën garohet për taksat, për arsimin, për kulturën, po shteron. Pse po ngrihen tonet nacionaliste në Shqipëri? Kjo do të thotë se në të ardhmen do kemi më shumë terren nacionalist, do kemi më shumë garë brenda Shqipërisë, por jo në Kosovë, ku nacionalistët mbase vijnë duke u qetësuar. Ndoshta e kam gabim. Në fakt shpresoj ta kem gabim.

      Në këtë libër ju parashikoni se çfarë do ndodhë. Ky lloj pesimizmi që ju parashikoni mund të kthehet në depresion dhe si politikan aktiv, çfarë mund të bëni?

      Edhe një herë po e përsëris, shpresoj të jem gabim. Do ishte më mirë për të gjithë ne po të isha unë gabim. Në qoftë se shoqëria hyn gradualisht në një fazë pesimizmi, që unë e kam quajtur “sëmundja e hënës” simbolikisht, ky lloj pesimizmi natyrisht ka arsye, por do ketë dhe pasoja. Duke qenë një vend relativisht modest, jo shumë i madh, historia ka treguar se nuk kemi zotëruar kurrë territore të të tjerëve, nuk i kemi çuar përpara qëllimet tona me armë, nuk kemi shkaktuar luftë, të tjerët mund të na kenë shkaktuar, ndërsa ne jemi mbrojtur mirë apo keq. Nga kjo kemi mësuar shumë, historia na jep këtë leksion, kemi qenë të varfër por paqësorë, ndaj nuk besoj se ky lloj pesimizmi mund të ketë përmasa depresive, pra të na çmendë si komb. Dhe për më tepër, jemi në një kornizë sigurie që është NATO, dhe gradualisht jemi dhe drejt Bashkimit Europian, të cilat kanë vetëm një qëllim: të na disiplinojnë si popull për të na thënë kush është raporti i ligjit me ne. Ky është problemi ynë më i madh në histori. Nuk kemi raport të mirë mes nesh dhe ligjit, pra mes njeriut dhe asaj që është kontratë kolektive. Pra, pavarësisht se do hyjmë në një etapë pesimiste, që kryesisht do ta vuajnë brezat e rinj, një gjeneratë që në masën 70% është e papunë, shoqëria vuan edhe më shumë. Në përgjithësi, në Europë papunësia tek të rinjtë është problem, por është dhe më e theksuar në Shqipëri për arsyet tona. Për këto arsye do hyjmë në një fazë pesimizmi, por nuk besoj se kostoja do jetë çmenduria kolektive.

      Ju i keni mëshuar tezës se Shqipëria duhet të ketë një klasë të mesme të fuqishme. Politikat aktuale të taksimit, a po shkojnë drejt kësaj klase?

      Pabarazia do të theksohet në Shqipëri se, për fat të keq binjakëzimi mes klasës së pasur dhe jetës politike po bëhet edhe më i dukshëm, edhe më i fortë. Kjo do të thotë se të luftosh pabarazinë në një kuptim direkt apo indirekt, duhet të marrësh vendime që i detyrojnë të pasurit të ndajnë pasuritë me të varfërit. Në Shqipëri akoma nuk jemi në këtë realitet, na duhen ndoshta shumë vjet për t’u afruar. Dhe ky është një nga dallimet më të mëdha që kemi sot me Europën. Është mënyra sesi ne i qasemi pabarazisë. Dhe pabarazia në të ardhmen do të ketë efektet e veta; dhe pse populli më i vogël në Evropë, ne jemi kampionë në numrin e emigrantëve që kemi prodhuar. Kemi zbuar nga Shqipëria 1/3-ën e popullsisë së 20 viteve të fundit. Një milion shqiptarë kanë emigruar dhe emigracioni vazhdon, sigurisht jo në përmasat e vitit 1997 apo të viteve ‘91-‘92. Po pse kanë ikur, se jetohet këtu shumë mirë? Jo. Ikin se nuk ka shpresë në përgjithësi. Kjo do të thotë se në të ardhmen do vazhdojë emigracioni, aq më tepër në kushtet që do afrohemi me BE-në, do jetë dhe më e lehtë për të emigruar se nuk do lindë nevoja të torturohesh si sot për të marrë një leje pune, sepse do të jetë një treg i përbashkët. Nëse tregu i punës është i bashkuar teorikisht me BE-në, një pjesë e madhe mund të ikin, sepse do paguhen më shumë atje e këtu më pak. Ky magnet do vazhdojë për sa kohë nuk kemi gjendur instrumentet e duhura politike, ekonomike, shoqërore për të luftuar pabarazinë për të mos pasur një hendek kaq ekstrem mes të varfërit dhe të pasurit, i cili nuk është vetëm problemi i së tashmes, por dhe i së ardhmes.

      Të kthehemi te pjesa e bashkimit me Kosovën. Në 100 vite janë kosovarët ata që, nëse kanë shpëtuar nga asimilimi prej Serbisë, kjo ka qenë ëndrra për bashkim. Sot kemi një parti nacionaliste, e cila ka marrë kryeqendrën e Kosovës, madje ka dhe 10 deputetë në parlament. Nëse rikthehemi në aspektin sportiv, janë kosovarët ata që mbajnë kombëtaren shqiptare në futboll, madje mbushin dhe stadiumet, ndaj nuk më rezulton i drejtë konstatimi se do jetë Kosova ajo që nuk e dëshiron bashkimin…

      Unë uroj që të keni të drejtë, por në qoftë se Shqipëria me Kosovën mund të bëjnë një gabim në të ardhmen, është gara nacionaliste se kush e do më shumë bashkimin. Unë nuk kam ndërmend të shtyhem këtu, unë bëj një lexim të fakteve, të tendencave nacionaliste si në Kosovë dhe Shqipëri, të një terreni kulturor politik, i cili është i ngjashëm, por nuk është i njëjtë dhe besoj se për arsye ekonomike, për arsye të diferencave që vazhdojnë të thellohen mes Shqipërisë dhe Kosovës, në disa plane kulturore ekonomike sociale të konfliktualitetit apo jokonfliktualitetit politik, ethet nacionaliste në Shqipëri mund të rriten, ndërsa në Kosovë të shuhen.

      Ju bëni pjesë në një mazhorancë, që shumë prej këtyre ideve i ka pasur në programin e saj dhe është votuar gjerësisht; rritje takash, përpjekje për të zbutur pabarazinë etj.  Pse përsëri nuk jeni optimist kur janë në pushtet idetë tuaja?

      Po më fton në një terren që nuk dua të hyj, sepse nuk kam bërë antiplatformën e platformës që fitoi zgjedhjet dhe as e kam në plan. Por nëse e keni parë në libër, unë kam evituar dy gjëra dhe e kam bërë me qëllim. Qëllimi i parë që i injoroj, pra kam evituar emra partish dhe emra njerëzish që janë aktivë sot në politikë apo që ju besoni se marrin vendime për ne. Nuk jam marrë fare me këtë, i jam shmangur këtij lloj diskutimi sepse unë nuk kam pasur qëllim të bëj një libër për Shqipërinë e dy apo tri viteve të ardhshme. Pak e shumë, ne e dimë si do jetë Shqipëria në dy apo tri vitet e ardhshme. Nëse dikush më bind se një që e ka rrogën 300 euro në Shqipëri pas kaq vjetësh do ta ketë 1300 euro, unë nuk e besoj. Pra optimizmi im nuk shkon deri këtu. Nëse dikush më bind se nga Shkodra deri në Sarandë mbas tre vjetësh do shkohet me një autostradë si ajo që më lidh me Berlinin, unë s’e besoj. Por që për shkak të kësaj inercie mund të ketë përmirësime të vogla sistemi, unë këtë e besoj. Por unë nuk jam në këtë pjesë të analizës, flas për disa dekada, kur arritjet e vogla që mund të kemi sot, do jenë të papërfillshme.

      Zoti Blushi, ju flisni në libër për një izolim të tretë të Shqipërisë pas dy izolimeve, që ju i sqaroni shumë mirë dhe kjo është ndikuar nga ata që ju i quani nënprefektë. Në këto 100 vite, çfarë mund të bëhet për ta shmangur këtë izolim të tretë të vendit?

      Ajo është një metaforë. Për aq sa e njoh unë Shqipërinë, ata janë pjesë e këtij realiteti, besoj dhe për shkak se Europa nuk është vetë në ditët e saj më të mira; kriza ekonomike vazhdon, papunësia po rritet, partitë po rivitalizohen, roli i Kishës po zbehet. Pra në përgjithësi shkëlqimi që ka pasur Europa në botë para 20-30 apo 100 vjetësh nuk është më ai që ka qenë. Konkurrenca Amerikë, Europë, Rusi, Azi, Afrikë, Kina padyshim, India, do ta zbehin rolin e Europës. Meqenëse ky realitet do vazhdojë, sigurisht Shqipëria, sipas meje, nuk do jetë kaq proeuropiane sa është sot. Me statistika, ne jemi sot vendi më proeuropian në Evropë, me 87 %. Unë them se në të ardhmen nuk do të jetë më kështu, pra vala e shqiptarëve optimistë karshi Evropës do zbehet për arsye të brendshme dhe të jashtme. Ndaj  kam përdorur një metaforë, “nënprefektin”, duke marrë parasysh personazhin e një filmi të dashur që përshkruan një tip social tipik shqiptar, diçka mes orientalit dhe oksidentalit me një dilemë mes të dyjave dhe e kam përdorur si një argument për të thënë që këta tipa ‘nënprefektësh’ që ne i njohim shumë mirë, jo vetëm që janë të pasur, por kanë dhe fuqi të tjera. Këta do kthehen në një makinë të vogël që do thonë: “Pse duhet të shkojmë në Europë? Mirë jemi kështu, sepse liria jonë është më e vlefshme”.

      Ju thoni se Shqipëria nuk vërtitet midis Lindjes dhe Perëndimit, por midis lindjes politike dhe lindjes fetare. Mund ta sqaroni pak më mirë këtë dhe, a ka një kontradiktë, sepse sapo thatë që jemi një vend europian?

      Gjeografikisht jemi një vend europian. Por nga mënyra sesi kemi avancuar nga 1500-ta deri më 1912-ën, një shenjë oksidenti apo europianizmi në këtë vend nuk u pa. Nuk luftuam ne për të qëndruar në Europë në atë kohë, ndoshta nuk kishim arsye sepse ka njerëz që e besojnë, se perandoria osmane e kohës ishte më e avancuar se rilindja italiane dhe se prodhonte muzikë më të bukur se Beethoveni dhe Mozarti në vitet 1700-1800. Unë nuk e besoj këtë. Nëse i qasemi 20 viteve të fundit, përpjekje europianizimi në Shqipëri kemi parë pak, prandaj them se Shqipëria vërtitet rreth Lindjes politike; që është Rusia post-sovjetike sepse këtë politikë shtetformuese kemi zgjedhur në këto 20 vjet. Kemi zgjedhur të gjitha fenomenet që kalon Rusia (me përjashtim të ekspansionizmit, ne nuk jemi një vend që pushtojmë vendet e tjera se nuk kemi fuqi), që janë korrupsioni, autokracia, raporti me mediat e lira, sundimi i një pakice ndaj shumicës dhe krijimi i oligarkisë që është tipike ruse. Bindja ime është se kemi qasje politike nga Lindja, që është Rusia, për shkak se kemi qenë pjesë e atij sistemi për gati 40 vjet dhe kemi qasje fetare nga Lindja, që është Turqia dhe gjithë bota që ajo përfaqëson mbas kësaj.

      Botuesi Henri Çili

      Ben Blushi, politikan i rëndësishëm, gazetar, shkrimtar, eseist, një nga mjeshtrat e penës dhe të mendimit në jetën publike dhe politike shqiptare të pasviteve ’90, ka menduar kësaj radhe që në esenë “Hëna e Shqipërisë” të sintetizojë shumëçka që mendon për të shkuarën, por në një strukturë shumë të gjetur dhe në letërsinë bashkëkohore, një histori për të ardhmen.

      Unë do të jap tri konsiderata paraprake:

      Elementi i parë është që në Shqipëri, Ben Blushi bën pjesë në radhët e atyre politikanëve që numërohen me gishtat e dorës, të cilët mendojnë, jo vetëm mendojnë, por dhe e ndajnë atë që mendojnë me publikun, dhe jo vetëm e ndajnë, por e lënë atë të shkruar çka është shumë e rëndësishme. Ky është avantazhi i parë.

      Së dyti. Kur lexoja dorëshkrimin e këtij libri, disa ngjarje nuk kishin ndodhur akoma, disa parashikime nuk kishin ndodhur, siç është arrestimi për veprimtari xhihadiste të disa të rinjve apo propozimi i Dhomës Amerikane të Tregtisë për legalizimin e hashashit. Që do të thotë, mprehtësia për të kapur fenomene të së ardhmes së afërt apo të largët është e jashtëzakonshme.

      Së treti. Meqenëse jemi në strehën e një librarie, në strehën e një universiteti që është Shtëpia botuese universitare, unë kam dhe një zili personale, besoj do ta kenë dhe shumë kolegë të mi pedagogë, sepse libri është mjaft i mirë, i mbështetur metodologjikisht për të gjitha ato që quhen stilema krijuese, pra ka idetë fillestare shumë të veçanta shumë origjinale, çka e bën një akademik në vetvete dhe një akademik që dallohet ndër të tjerët. Nuk po guxoj, dhe as Blushi pretendon që të jetë një akademik, por mendoj se me këtë libër është padyshim në grupin e njerëzve të ideve në Shqipëri.

      Së fundmi dua të shtoj se ky libër bën pjesë në llojin e publicistikës tonë politike, që në gjykimin tim nis herët si tentacion me, “Shqipëria ç’ka qenë, ç’është dhe ç’do të bëhet” e Sami Frashërit, “Problemet shqiptare” e Mit’hat Frashërit, “Vija e Teodosit” e Aurel Plasarit, “Shqipëria ç’mund të jetë” e Ardian Klosit, apo “Reforma shqiptare: shmangia e karakterit tiranik të politikës” e Spartak Ngjelës.

      Shkurt është një arkitekturë e mendimit politik dhe shoqëror, e cila duke parashikuar të ardhmen në fakt na flet shumë për të sotmen.

        » “Dy libra të një shkence”

        Pedagogët e Fakultetit të Drejtësisë, të qytetit të Shkodrës dr. Entela Hoxhaj dhe dr. Florian Bjanku, promovuan sot dy monografitë e tyre në fushën e drejtësisë: “E drejtë kushtetuese e krahasuar” dhe “Çështja e pronave në Shqipëri”.

        Këto dy botime, vijnë pas një pune të mirëfilltë kërkimore-shkencore që autorët kanë bërë në fushën e drejtësisë, të lidhura me ndryshimet kushtetuese dhe sfidën me shtetin ligjor dhe të drejtat e njeriut.

        Në aktivitetin “Dy libra të një shkence”,organizuar në Universitetin “Luigj Gurakuqi” të Shkodrës, ishin të pranishëm pedagogë dhe studentë të këtij universiteti, drejtues të qeverisjes vendore, institucioneve juridike, si edhe Kryetari i Gjykatës së Lartë, prof. dr. Xhezair Zaganjori.

        Monografia “E drejtë kushtetuese e krahasuar” (Rishikimi i kushtetutave në Evropë), e autores Entela Hoxhaj pasqyron teorinë, praktikën dhe jurisprudencën kushtetuese të shteteve të Evropës kontinentale, të lidhura me problematikat e ndryshimeve kushtetuese respektive.

        Botimi është një përpjekje serioze për t’u shërbyer studiuesve dhe studentëve të së drejtës kushtetuese të krahasuar.

        Ndërkohë që libri i Florian Bjankut , “Çështja e pronave në Shqipëri” (Sfida me shtetin ligjor dhe të drejtat e njeriut), analizon proceset kryesore ligjore, institucionale, politike në Shqipëri dhe vendet e Evropës Qendrore dhe Lindore, ku reforma e tokës ishte pjesë e rëndësishme e reformave të përgjithshme pas rënies së regjimit monist.

        Me këtë botim, autori synon të hedhë dritë në tri drejtime; mbrojtja e së drejtës së pronës, shteti ligjor dhe konsolidimi i marrëdhënieve të tregut të tokës, ku evidentohen çështjet që kanë mbetur ende të hapura dhe që duhen zgjidhur, aspektet e mbrojtjes së të drejtave themelore të njeriut, etj.

        Ndërsa autori Florian Bjanku, tha se tematika që ai trajton, “Çështja e pronave në Shqipëri¨, ka një ndjeshmëri dhe aktualitet të lartë në publik.

        » Diplomacia shqiptare në kërkim të identitetit

        Diplomati dhe analisti diplomatik i mirënjohur, Shaban Murati, nxori në qarkullim librin e tij të ri “Diplomacia shqiptare në kërkim të identitetit”. Libri pasuron kolanën e librave të autorit kushtuar problematikës, fizionomisë, rrugëtimit dhe përballjeve konkrete të diplomacisë shqiptare në ditët e sotme me detyrat dhe misionin e saj. Në qendër të analizave diplomatike vendoset objektivi profesional, shkencor dhe diplomatik, i kërkimit të një identiteti shtetëror dhe kombëtar të diplomacisë shqiptare. Në vështrimin kritik të autorit, diplomacia shqiptare e periudhës së demokracisë ende nuk e ka gjetur dhe formuar identitetin e vet shtetëror dhe kombëtar dhe duhet t’i futet rrugës së kërkimit të këtij identiteti.
        Libri ndalet në analizën e këtij fenomeni shqetësues dhe me rëndësi për diplomacinë dhe për shtetin shqiptar, duke e zbërthyer në qëndrimet dhe interpretimet konkrete të problemeve dhe të marrëdhënieve aktuale të Shqipërisë me shtetet e tjera, kryesisht ato fqinje, të politikës rajonale dhe ndërkombëtare të Shqipërisë. Në këtë optikë ai analizon dinamikën dhe veçoritë e reja të marrëdhënieve të Shqipërisë me SHBA, tronditjet dhe rreziqet e moskuptimeve diplomatike. Analizon marrëdhëniet aktuale me Turqinë si partner i ri strategjik, dhe me Greqinë, në dritën e zhvillimeve më të reja në marrëdhëniet e Shqipërisë me këto dy shtete. Libri u kushton rëndësi të veçantë aspekteve diplomatike dhe shtetërore të marrëdhënieve me Kosovën, ku autori fokuson dilemën e madhe të diplomacisë së Shqipërisë mes folklorizmit dhe forcimit institucional të marrëdhënieve specifike mes dy shteteve shqiptare. Një këndvështrim interesant paraqesin analizat e autorit për problemet kardinale të organizimit dhe të funksionimit të shërbimit diplomatik shqiptar, me pengesat dhe faktorët negativë për t’u kapërcyer.
        Frut i një përvoje unike prej 45 vjetësh si analist i politikës së jashtme, nga të cilat 14 vjetët e fundit autori është analisti i politikës së jashtme në “Gazetën Shqiptare”, libri sjell një panoramë të re, origjinale dhe profesionale, të problemeve të sotme të diplomacisë shqiptare, gjë që e bën atë një manual me interes si për diplomacinë dhe institucionet e shtetit shqiptar, ashtu dhe për studiuesit dhe të apasionuarit e diplomacisë dhe të politikës së jashtme.
        Libri i ri i diplomatit dhe analistit diplomatik Shaban Murati “Diplomacia shqiptare në kërkim të identitetit” vjen si një kontribut i ri i çmuar në drejtim të zhvillimit të mendimit diplomatik shqiptar, aq i domosdoshëm për formimin e identitetit shtetëror dhe kombëtar të diplomacisë shqiptare.

          » E Drejta kundër Shtetit?

          E. Pasquier krahason dy teoricienët e mëdhenj të së Drejtës, që ishin Carl Schmitt dhe Hans Kelsen: rezulton gjykimi që kufijtë midis “décisionnisme”  dhe “conventionalisme” janë ngatëruar ashtu si ato midis së Drejtës dhe Shtetit.

          Qu’est-ce que le droit international ? C’est avec une certaine urgence que cette question s’est posée depuis les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres d’Afghanistan et d’Irak, au cœur des réflexions sur le terrorisme, l’état d’exception et les doctrines de la « guerre juste ». Emmanuel Pasquier renouvelle le problème dans De Genève à Nuremberg, Carl Schmitt, Hans Kelsen et le droit international, en l’abordant depuis la confrontation entre deux pensées-limites du XXe siècle (si ce n’est extrême et très problématique pour Schmitt [1]).

          Kelsen et Schmitt ont tous deux théorisé le problème de la nature spécifique du droit international, par contraste avec celle du droit interne. Ils se sont tous deux opposés à la critique massive qui veut réduire les normes internationales à un ensemble de conventions en manque de reconnaissance de la part des États, véritables sources du droit. Toutefois, comme le montre ici E. Pasquier, leurs arguments et leurs conclusions s’opposent bien souvent (mais pas toujours) de manière diamétrale, et se distinguent en particulier sur la question des enjeux politiques du droit international.

          Certes, le livre s’attache ainsi à l’étude circonstanciée, mais sans excès de technicité, d’un chapitre de l’histoire de la philosophie du droit : celui de l’antagonisme entre Kelsen et Schmitt donc, qui oppose le normativisme du premier, selon lequel le droit en général doit posséder une rationalité propre et exige d’être étudié via une méthode scientifique idoine, et le décisionnisme du second, qui pense le droit comme un ordre toujours politique qui déjoue par là toute entreprise d’analyse rationnelle interne [2]. Mais E. Pasquier dédouble vite la question : en se demandant d’une part jusqu’à quel point les termes de cette dispute historique peuvent être réellement transposés au champ du droit international ; et d’autre part, en cherchant à retrouver l’origine des débats actuels autour du droit international dans le contexte historique d‘une « première mondialisation juridico-politique », qui va de la création de la Société des Nations à la tenue du procès de Nuremberg et à la création de l’ONU.

          Le livre fait ainsi l’hypothèse que l’époque contemporaine serait finalement l’héritière d’une histoire antérieure à la Guerre Froide, d’où l’on pourrait alors exhumer la raison des résistances que peuvent opposer les États au projet d’organiser juridiquement le monde : « en dépit de la double tentative que représentent les doctrines respectives de Kelsen et de Schmitt pour repenser le droit international selon des modalités autres que celles du droit interétatique, considéré comme périmé ou devant être dépassé, l’un et l’autre se heurtent finalement à la question de la persistance de l’État » (p. 45).

          Aux confins de la pensée du droit international

          Les quatre grandes parties du livre restituent autant les termes de la confrontation Kelsen-Schmitt qu’elles en montrent avec nuance les effets de « convergence » et de « concordance » (p. 535). Davantage, E. Pasquier insiste sur les points des doctrines qui ne cadrent pas avec les étiquettes dans lesquelles les deux auteurs sont bien souvent rangés.

          Dès la première partie, la distance est prise à l’égard de la représentation figée du débat Kelsen-Schmitt. E. Pasquier éclaire d’un côté la place donnée dans le corpus kelsenien à l’arbitraire et à la décision au sein du droit, et vient de l’autre reconstruire une théorie de la légitimité politique, sauvée du pur arbitraire, à partir des textes de Schmitt :

          il n’y a pas d’un côté Schmitt, qui ferait l’apologie de l’arbitraire, et de l’autre côté Kelsen, qui en ferait la critique. Kelsen et Schmitt s’opposent, mais ils s’opposent en juristes. L’un comme l’autre cherchent à conjurer l’arbitraire, quoique à partir d’horizons théoriques et politiques radicalement opposés. L’un et l’autre se renvoient mutuellement l’accusation de favoriser l’émergence de l’arbitraire et d’être incapable de penser réellement les moyens de “garder” le droit (p. 51).

          Une seule et même question émerge dans la confrontation : s’il doit réguler les relations internationales, quelle forme doit avoir le droit pour limiter effectivement la violence et ne pas être le « masque de l’arbitraire » (p. 703) ? Comme le montre finement E. Pasquier, en affrontant cette question, chacun des deux auteurs travestit alors l’opposition « commode » (p. 51) entre normativisme et décisionnisme et produit en miroir son ennemi théorique. Kelsen se montre en effet plus décisionniste que Schmitt dans son analyse des organes judiciaires, tandis que celui-ci s’efforce de penser la rationalité normative propre des lois. Le livre dresse ainsi les portraits du « “Schmitt” de Kelsen », et du « “Kelsen” de Schmitt », à partir d’une lecture patiente de leurs textes respectifs, et conclut sur ce point :

          normativisme et décisionnisme n’existent ni l’un ni l’autre sérieusement comme théories du droit [mais forment tous deux les] pôles extrêmes entre lesquels se joue la philosophie du droit, et à hauteur desquels le droit se dissout, et avec lui la philosophie qui essaye de le penser. [En effet] penser le droit suppose toujours de penser les modes d’articulation entre les normes et les décisions. (p. 53)

          Cette mise à distance du « normativisme » et du « décisionnisme » permet d’aborder plus clairement le problème central de l’ouvrage : peut-on transposer au plan du droit international la polémique à laquelle se sont livrés les deux auteurs autour du « gardien de la constitution » ? Qui doit être le gardien du droit international ? Autrement dit, quelle instance peut garantir la légitimité et l’application des règles internationales ? Quel organe juridique peut juger et résoudre les conflits internationaux ?

          E. Pasquier montre alors que c’est à travers cette question, au départ d’ordre exégétique, que l’enjeu proprement politique du droit international émerge, et que se dessine le plus nettement la ligne de fracture entre les deux théoriciens. Pour Schmitt en effet, l’idéal de régulation internationale achoppera toujours en raison du refus légitime, car souverain, de tout État d’être jugé par une instance extérieure : les conflits internationaux sont par nature politiques, donc non juridiques et non justiciables. Kelsen affirme au contraire que le droit international est en quelques sortes juridique pour autant qu’il est politique, parce que les institutions internationales ont avant tout la tâche de donner un cadre à la volonté des États de s’entendre ou non : si « l’essence même de la juridiction devait être non politique, un tribunal international serait donc inconcevable » (p. 157-158). À nouveau les termes s’inversent, Kelsen fait place au devenir politique du droit, tandis que Schmitt veut l’en préserver.

          « Stato-centrisme » contre « méta-étaticité »

          Afin de cerner au mieux ce problème, E. Pasquier en présente l’autre face dans la deuxième partie du livre : qu’est-ce qui fait que le droit international est tout de même du droit, mais dans un sens qui le distingue du droit interne des États ? Pour démontrer que la juridicité du droit international, c’est-à-dire sa qualité de faire droit, est irréductible à la somme des conventions entre États, Kelsen et Schmitt sont en effet tous deux forcés de défendre l’idée d’un droit international qui ne soit pas entièrement politique, et pour cela de tracer la limite, au plan théorique, entre le politique et le juridique.

          En tant qu’il régule d’abord des relations entre des États souverains, qui peuvent donc s’y soumettre ou non, le droit international serait porteur d’une contradiction interne :

          le principe qui lui donne naissance est en même temps le principe qui ne cesse de le miner de l’intérieur […]. Le concept de souveraineté est ainsi porteur de cette ambivalence fondamentale, qu’il est l’attribut commun par lequel un ensemble de sujets de droit se définissent comme membres d’une communauté, en même temps qu’il est le principe au nom duquel chacun d’entre eux prétend être en droit de se soustraire aux exigences de celle-ci. (p. 161)

          A. Lejbowicj [3] a bien montré que cette contradiction a pour symptôme un présupposé majeur de la philosophie politique occidentale. Centrée sur l’État, celle-ci ne peut que « [subordonner] la juridicité du droit international au droit des États, au pire, lui [ôter] toute juridicité […]. L’État tend à capter toute la juridicité et à donner à la notion de “droit international” la résonance d’un oxymore » (p. 162). Or Kelsen et Schmitt, par-delà les clivages qui les opposent, prennent tous deux leurs distances vis-à-vis de cette tradition.

          Le premier affirme en effet la primauté du droit international sur les États parce qu’il serait paradoxalement la condition logique de leur formation : « la définition même du concept d’État suppose une méta-étaticité, un ordre supérieur qui la rend possible » (p. 163). Cette « méta-étaticité » renvoie au « droit international général », expression qui dénote chez Kelsen le « droit coutumier valide pour tous les États appartenant à la communauté internationale » (citation de Kelsen, p. 163). La souveraineté nationale est seconde parce qu’elle découle justement des pactes et traités internationaux, du principe d’intégrité territoriale et du droit de la guerre. Ce n’est donc pas sur la souveraineté que sont fondés les règles internationales, mais bien l’inverse.

          Même si Schmitt en arrive à la même conclusion, sa démonstration diffère sensiblement de celle de Kelsen. Selon lui, la souveraineté étatique s’appuie toujours sur un ordre antérieur, « l’ordre des grands espaces », ou « nomos de la terre ». C’est cet ordre spatial concret, structuré en régions exerçant une plus ou moins grande puissance et donc une plus ou moins forte domination, qui précède et détermine chaque État, et que le droit international ne fait que traduire dans son langage formel propre. Kelsen et Schmitt s’en prennent donc tous deux à l’idée selon laquelle l’État incarnerait une volonté première et une souveraineté absolue.

          E. Pasquier rappelle alors que l’opposition entre défenseurs de la souveraineté étatique et tenants de l’ordre internationale recouvre les deux faces d’un même « monisme juridique » — selon lequel le droit n’a qu’un seul fondement, l’État ou les relations internationales) — et que Kelsen et Schmitt ne cherchent pas tant à se situer au sein de cette alternative. Leurs critiques visent en effet moins le « stato-centrisme » d’une théorie qui prend l’État pour seul point d’ancrage du droit, que le « dualisme juridique » d’Heinrich Triepel, présenté comme troisième voie face à l’alternative. Ce juriste positiviste du début du XXe siècle défend la double origine du droit, autant issu de la volonté originelle de l’État que de l’accord entre les souverainetés, et incarne le courant auxquels s’opposent en fait Kelsen et Schmitt. « Si l’on peut parler d’une convergence entre Schmitt et Kelsen, elle est dans ce double rejet du jusnaturalisme et du conventionnalisme. [Dans] ce “ni… ni…”, ni jusnaturalisme, ni conventionnalisme […], les deux doctrines sont superposables » (p. 713). Là encore, le propos est éclairant et libère de certains préjugés quant à la visée des critiques formulées par les deux auteurs : non pas critiquer l’Etat pour lui-même, mais parce qu’il est conçu soit comme source naturelle, soit comme point d’orgue, du droit. Si Schmitt maintient le principe de souveraineté, c’est pour mieux le délier de la forme de l’État, et l’arrimer au plan des grands espaces qui composent véritablement le « nomos de la terre » ; et si Kelsen s’en prend à l’Etat, c’est surtout à partir d’une « pensée de l’État contre l’Empire », pour le préserver de ses tendances à devenir « une machine impérialiste dont l’extension ne connaît pas de borne juridique » (p. 708).

          « Qui gardera les gardiens ? »

          Cette citation des Satires de Juvénal (p. 348), reprise par Kelsen dans Peace through Law, reformule l’enjeu majeur de la troisième partie du livre. E. Pasquier prolonge par là les termes de la seule bataille que les deux auteurs se sont explicitement livrée, et qui a porté sur l’ordre constitutionnel qui encadre les institutions juridiques : qui in fine en détient la norme, qui en est le « gardien » ? À l’échelle du droit international, le problème porte sur la forme de l’instance juridique chargée de représenter les États, de les regrouper en une « communauté internationale », et surtout de limiter les conflits qui pourraient les opposer. Un dilemme classique mais crucial en découle, qui concerne le bien-fondé de la volonté même de réguler juridiquement la guerre. « Peut-on se contenter de “circonscrire” [la guerre] au risque, finalement, de la justifier dans ses pires excès ? Ou bien faut-il l’abolir, au risque que, par une sorte de retour du refoulé, elle ne puisse plus se manifester que sous la forme extrême de guerre d’anéantissement contre les ennemis de la paix ? » (p. 348).

          Ces questions sont abordés par E. Pasquier à travers les évaluations et critiques que les deux auteurs formulent à l’égard d’institutions historiques précises, telles que la Société des Nations ou le Tribunal militaire international de Nuremberg. Par exemple, Schmitt voit dans la SDN une institution oppressive capable de justifier des guerres discriminatoires, voire d’anéantissement, parce qu’elle fait usage du droit afin de se légitimer : définissant la guerre comme sanction, elle masque la réalité et l’équilibre possible des rapports de force entre grands espaces qui structurent le monde. Un tel organe revient à légitimer la guerre. E. Pasquier analyse alors précisément le projet général de Schmitt, pour qui une véritable théorie doit être capable de penser le droit en lien avec les puissances qui structurent concrètement les rapports de domination à l’échelle mondiale.

          [Schmitt veut] produire un discours théorique qui remette le droit en adéquation avec l’ordre concret, c’est-à-dire où les sujets du droit soient effectivement les acteurs des relations internationales. […] Les “grands espaces” sont [sa] réponse à la question de la ré-institutionnalisation des relations internationales, face au constat de l’échec de la Société des Nations qui s’est montrée incapable d’empêcher le second conflit mondial. (p. 349-350)

          Également critique à l’égard de la SDN, Kelsen la décrit cependant comme une première étape imparfaite mais indispensable dans la régulation des relations internationales, et définit comme objectif à atteindre la création d’un organe judiciaire indépendant, tels une cour de justice internationale ou un tribunal. C’est sur ce point que le débat entre les deux auteurs se montre le plus sensible. Kelsen affirme en effet que la « judiciarisation des relations internationales est la réponse à une carence du modèle schmittien de “l’équilibre” des puissances : qui sera le gardien de cet équilibre s’il n’existe pas une instance extérieure aux parties, capable d’arbitrer leurs conflits ? ». Réponse en filigrane de Schhmitt : « Une cour de justice internationale n’est-elle [pas] vouée à n’être que l’émanation de ceux qui détiennent déjà le pouvoir ? » (p. 351). Le procès de Nuremberg, au cours duquel, notamment, la comparution des criminels de guerre soviétiques a été soigneusement évitée, devient l’objet de nouveaux différends entre les deux auteurs, qu’E. Pasquier développe avec précision.

          Résistance de la forme « État »

          Revenons, pour finir, sur ce qui constitue le point de mire des différents développements du livre : la critique de l’État comme structure classique de la souveraineté. La montée en puissance des espaces régionaux, l’avènement d’une justiciabilité des individus à l’échelle mondiale à travers les tribunaux internationaux, et la formation des organisations internationales telles que l’ONU, incarnant pendant un temps les appels à « l’unité du monde » et à la « fin de l’histoire », représenteraient les trois vecteurs du vacillement de l’État comme point de référence des relations internationales. Comment en comprendre alors la persistance ?

          Pour Schmitt, la référence à l’État, minant de l’intérieur les institutions juridiques internationales, n’est pas contingente et présente bien une utilité stratégique :

          ce sont les puissances déjà constituées comme grands espaces, les États-Unis plus particulièrement, qui ont intérêt à continuer à faire prévaloir un schéma strictement interétatique qui leur permet de diviser de l’intérieur les autres grands espaces potentiels — l’Europe tout particulièrement — et de conserver l’avantage stratégique que leur confère leur forme de grand espace par rapport à n’importe quel État particulier. (p. 537)

          Analysant le droit international du point de vue de la puissance politique et de l’hégémonie économique des « grands espaces », Schmitt voit à travers l’ONU, parangon affiché de la fin des rivalités internationales, le symptôme d’un ordre tout relatif, qui masque un désordre et une conflictualité bien réels. Il conclut que « l’ONU ne constitue rien » et n’est qu’une « illusion normativiste de plus » (p. 542). E. Pasquier entame à ce stade une discussion passionnante des textes de Schmitt sur les effets idéologiques de la Charte de l’ONU, ainsi que sur son rapport critique à Marx :

          le schéma interétatique sur lequel est fondée la structure juridique de l’ONU, qui pose le principe d’égale souveraineté de tous les États, rend parfaitement illisible un ensemble de relations de domination transnationales. Autrement dit, la valeur politique des rapports de force économiques n’est ni régulable ni même lisible dans les catégories classiques du droit international public mises en œuvre par l’ONU. (p. 542-543)

          Pour Schmitt, les notions mêmes d’unité et de paix mondiales, sortes d’idéaux régulateurs du droit international, sont vides de toute valeur politique, parce qu’on ne peut vouloir abolir l’hostilité en tant qu’elle est l’attribut fondamental de la politique. En comparaison, l’unité et la paix restent des fins légitimes pour Kelsen, à partir desquelles se justifie la critique des incohérences internes de l’ONU, afin, selon lui, de l’amender et de préserver le droit international des résistances que les Etats lui opposent.

          Afin de conclure notre lecture de ce riche et vaste ouvrage, commençons par souligner que son intérêt, du point de vue des problèmes politiques qu’il pose, dépasse évidemment celui des seules questions de philosophie ou de théorie du droit.

          Concernant le problème de départ, l’issue historique de la confrontation Kelsen-Schmitt, la thèse finale d’E. Pasquier, selon laquelle « la souveraineté nationale [est] restée le mode de représentation d’une communauté politique à elle-même », donne paradoxalement la « victoire » à Triepel, seul de ces trois théoriciens à avoir rendu compte « des complexités d’un système où la persistance de l’État coexiste avec la mondialisation » (p. 714). La mondialisation juridico-politique (distincte de la mondialisation économique) s’est en effet traduite par « l’extension à l’échelle mondiale de la structure interétatique », l’État s’imposant bel et bien comme « standard anthropologique » à toute société humaine devant être reconnue comme communauté à part entière. À ce titre, la richesse spéculative de certaines réflexions conclusives sur la primauté de la forme « Etat » et de son identité nominale, pour comprendre la réduction de la complexité des relations internationales, l’anthropomorphisation de la politique ou le rapport entre narration et pouvoir, soulève de nombreuses questions philosophiques qui pourraient être développées à l’avenir.

          On pourrait souhaiter également — même si cela déborde l’objet du livre — que la discussion des approches post-coloniales, toujours esquissée à l’égard de la persistance de l’État, soit davantage creusée. La question de savoir si cette forme juridico-politique est « l’instrument d’une hégémonie impériale […] de la part des puissances qui sont, pour leur part, des super-États », comme le pensait Schmitt, ou si son extension à la suite des mouvements de décolonisation représente le « signe d’un mouvement d’émancipation, non seulement par rapport à l’impérialisme classique mais aussi par rapport à ce néo-impérialisme […] des grands espaces » est une question cruciale à confronter par exemple avec les lectures post-coloniales du droit international. A. Anghie a démontré par exemple comment la formation historique du droit international a été conditionnée par les processus de colonisation, et en quoi la diffusion des concepts d’État et de souveraineté, au cœur de la « mission civilisatrice » de l’Europe, a fortement aidé à asseoir sa domination impériale [4].

          Au terme de cette lecture, une autre question demeure également, à l’égard des références, apparemment décisives mais souvent en filigranes, à M. Koskenniemi. Incarnant la double exigence de « plier la pratique politique aux formes du droit [et en même temps] de ne pas se laisser abuser par la norme juridique quand elle devient outil de légitimation de la puissance, c’est-à-dire que le droit ne soit ni apologie ni utopie » (p. 731), le couple Kelsen-Schmitt figurerait-il à l’avance le dilemme critique posé par le juriste finlandais [5] ?

           

            » Repenser l’ Etat

            Pour une social-démocratie de l’innovation*

            Pourquoi la crise n’a-t-elle pas eu raison du profond scepticisme à l’égard de l’État ? Au « moins d’État » néolibéral, ce livre répond qu’il faut « plus d’État autrement ». La mondialisation et la révolution des technologies de l’information nous obligent à réaffirmer le rôle de la puissance publique, mais en la réinventant. État qui investit dans la croissance et l’innovation, État garant du contrat social, État protecteur dans un monde plus incertain, État impartial : telles sont les lignes de force du nouveau pacte social-démocrate que ce livre propose.

            Alors que la crise financière a remis en cause la toute-puissance des marchés et les politiques de dérégulation, les citoyens n’ont jamais eu aussi peu confiance en l’État. À peine conjuré l’effondrement général, on a vu divers gouvernements européens, ainsi que le Congrès américain, prôner à nouveau un État minimal. Pourquoi la crise n’a-t-elle pas eu raison du profond scepticisme à l’égard de l’État ? Au « moins d’État » néolibéral, ce livre répond qu’il faut « plus d’État autrement ». La mondialisation et la révolution des technologies de l’information nous obligent à réaffirmer le rôle de la puissance publique, mais en la réinventant. État qui investit dans la croissance et l’innovation, État garant du contrat social, État protecteur dans un monde plus incertain, État impartial : telles sont les lignes de force du nouveau pacte social-démocrate que ce livre propose.

            *Philippe Aghion & Alexandra Roulet, « Repenser l’État. Pour une social-démocratie de l’innovation », La République des idées / Seuil, Paris, 09/2011, ISBN 978.2.02.105429.3, 11,50 €

              Thënie për Shtetin

              • Një burrë shteti është një politikan që e vë vehten në shërbim të kombit. Një politikan është një burrë shteti që vë kombin e tij në shërbim të tij.
                - Georges Pompidou
              • Në politikë duhet të ndjekësh gjithmonë rrugën e drejtë, sepse je i sigurt që nuk takon kurrë asnjëri
                - Otto von Bismarck
              • Politika e vërtetë është si dashuria e vërtetë. Ajo fshihet.
                - Jean Cocteau
              • Një politikan mendon për zgjedhjet e ardhshme, një shtetar mendon për gjeneratën e ardhshme
                - Alcide de Gasperi
              • Europa është një Shtet i përbërë prej shumë provincash
                - Montesquieu
              • Duhet të dëgjojmë shumë dhe të flasim pak për të berë mirë qeverisjen e Shtetit
                - Cardinal de Richelieu
              • Një shtet qeveriset më mirë nga një njëri i shkëlqyer se sa nga një ligj i shkëlqyer.
                - Aristotele
              • Historia e lirisë, është historia e kufijve të pushtetit të Shtetit
                - Woodrow Wilson
              • Shteti. cilido që të jetë, është funksionari i shoqërisë.
                - Charles Maurras
              • Një burrë shteti i talentuar duhet të ketë dy cilësi të nevojshme: kujdesin dhe pakujdesinë.
                - Ruggiero Bonghi